[ Pobierz całość w formacie PDF ]
.Sans doute la forme sous laquelle elle les avait codifiés ne pouvait pas se résoudre enraisonnements.Mais depuis plus d'une année que lui révélant à lui-même bien des richesses de son âme,l'amour de la musique était pour quelque temps au moins né en lui, Swann tenait les motifs musicaux pour devéritables idées, d'un autre monde, d'un autre ordre, idées voilées de ténèbres, inconnues, impénétrables àl'intelligence, mais qui n'en sont pas moins parfaitement distinctes les unes des autres, inégales entre elles devaleur et de signification.Quand après la soirée Verdurin, se faisant rejouer la petite phrase, il avait cherché àdémêler comment à la façon d'un parfum, d'une caresse, elle le circonvenait, elle l'enveloppait, il s'était renducompte que c'était au faible écart entre les cinq notes qui la composaient et au rappel constant de deux d'entreelles qu'était due cette impression de douceur rétractée et frileuse; mais en réalité il savait qu'il raisonnaitainsi non sur la phrase elle-même mais sur de simples valeurs, substituées pour la commodité de sonintelligence à la mystérieuse entité qu'il avait perçue, avant de connaître les Verdurin, à cette soirée où il avaitentendu pour la première fois la sonate.Il savait que le souvenir même du piano faussait encore le plan danslequel il voyait les choses de la musique, que le champ ouvert au musicien n'est pas un clavier mesquin desept notes, mais un clavier incommensurable, encore presque tout entier inconnu, où seulement çà et là,séparées par d'épaisses ténèbres inexplorées, quelques-unes des millions de touches de tendresse, de passion,de courage, de sérénité, qui le composent, chacune aussi différente des autres qu'un univers d'un autreunivers, ont été découvertes par quelques grands artistes qui nous rendent le service, en éveillant en nous leDEUXIÈME PARTIE.UN AMOUR DE SWANN 172 Du Côté de Chez Swanncorrespondant du thème qu'ils ont trouvé, de nous montrer quelle richesse, quelle variété, cache à notre insucette grande nuit impénétrée et décourageante de notre âme que nous prenons pour du vide et pour du néant.Vinteuil avait été l'un de ces musiciens.En sa petite phrase, quoiqu'elle présentât à la raison une surfaceobscure, on sentait un contenu si consistant, si explicite, auquel elle donnait une force si nouvelle, sioriginale, que ceux qui l'avaient entendue la conservaient en eux de plain-pied avec les idées del'intelligence.Swann s'y reportait comme à une conception de l'amour et du bonheur dont immédiatement ilsavait aussi bien en quoi elle était particulière, qu'il le savait pour la "Princesse de Clèves", ou pour "René",quand leur nom se présentait à sa mémoire.Même quand il ne pensait pas à la petite phrase, elle existaitlatente dans son esprit au même titre que certaines autres notions sans équivalent, comme les notions de lalumière, du son, du relief, de la volupté physique, qui sont les riches possessions dont se diversifie et se parenotre domaine intérieur.Peut-être les perdrons-nous, peut-être s'effaceront-elles, si nous retournons aunéant.Mais tant que nous vivons nous ne pouvons pas plus faire que nous ne les ayons connues que nous nele pouvons pour quelque objet réel, que nous ne pouvons, par exemple, douter de la lumière de la lampe qu'onallume devant les objets métamorphosés de notre chambre d'où s'est échappé jusqu'au souvenir de l'obscurité.Par là, la phrase de Vinteuil avait, comme tel thème de Tristan par exemple, qui nous représente aussi unecertaine acquisition sentimentale, épousé notre condition mortelle, pris quelque chose d'humain qui étaitassez touchant.Son sort était lié à l'avenir, à la réalité de notre âme dont elle était un des ornements les plusparticuliers, les mieux différenciés.Peut-être est-ce le néant qui est le vrai et tout notre rêve est-il inexistant,mais alors nous sentons qu'il faudra que ces phrases musicales, ces notions qui existent par rapport à lui, nesoient rien non plus.Nous périrons mais nous avons pour otages ces captives divines qui suivront notrechance.Et la mort avec elles a quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être de moinsprobable.Swann n'avait donc pas tort de croire que la phrase de la sonate existât réellement.Certes, humaine à ce pointde vue, elle appartenait pourtant à un ordre de créatures surnaturelles et que nous n'avons jamais vues, maisque malgré cela nous reconnaissons avec ravissement quand quelque explorateur de l'invisible arrive à encapter une, à l'amener, du monde divin où il a accès, briller quelques instants au-dessus du nôtre.C'est ce queVinteuil avait fait pour la petite phrase.Swann sentait que le compositeur s'était contenté, avec sesinstruments de musique, de la dévoiler, de la rendre visible, d'en suivre et d'en respecter le dessin d'une mainsi tendre, si prudente, si délicate et si sûre que le son s'altérait à tout moment, s'estompant pour indiquer uneombre, revivifié quand il lui fallait suivre à la piste un plus hardi contour.Et une preuve que Swann ne setrompait pas quand il croyait à l'existence réelle de cette phrase, c'est que tout amateur un peu fin se fût toutde suite aperçu de l'imposture, si Vinteuil ayant eu moins de puissance pour en voir et en rendre les formes,avait cherché à dissimuler, en ajoutant çà et là des traits de son cru, les lacunes de sa vision ou lesdéfaillances de sa main.Elle avait disparu.Swann savait qu'elle reparaîtrait à la fin du dernier mouvement, après tout un longmorceau que le pianiste de Mme Verdurin sautait toujours
[ Pobierz całość w formacie PDF ]